Le Burkina Faso, théâtre d’un coup d’État militaire lundi, a été suspendu vendredi par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’issue d’un sommet virtuel de l’organisation, dont les chefs d’État se retrouveront le 3 février à Accra pour évaluer à nouveau la situation dans ce pays.
La CEDEAO a exigé la libération immédiate du président renversé, Roch Marc Christian Kaboré, placé en résidence surveillée, ainsi que celle des autres responsables arrêtés. Le sommet a en outre décidé de l’envoi samedi à Ouagadougou d’une mission des chefs d’état-major des armées de la CEDEAO, qui sera suivie lundi d’une mission ministérielle.
Tolérance zéro
Le responsable du bureau régional Afrique de l’Ouest de l’ONU, Mahamat Saleh Annadif, se rendra également au Burkina Faso au cours du week-end. Le sommet du 3 février à Accra, en présence des dirigeants de la région, étudiera le compte rendu de ces missions pour décider d’imposer ou non d’autres sanctions, comme il l’a fait pour le Mali et la Guinée, où des militaires ont également pris le pouvoir. Ce sommet évoquera aussi la situation au Mali et en Guinée, a précisé le président de la Commission de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou, dans un entretien à l’Agence France-Presse.
« Chaque fois que vous avez un coup d’État, c’est un recul démocratique pour le pays et la région », et « la réponse de la CEDEAO a toujours été très ferme et très cohérente, c’est la tolérance zéro », a-t-il dit. « C’est aussi une exigence internationale », a ajouté M. Brou, estimant que « la période des coups d’État des années 1970, c’est révolu ». Selon les principes de la CEDEAO, « l’armée se doit d’être républicaine et apolitique ».
Il a rappelé que son organisation était « toujours disposée à accompagner » les pays où des putschistes ont pris le pouvoir « à aller dans un processus de retour à l’ordre constitutionnel ».
Jeudi soir, dans sa première allocution depuis sa prise de pouvoir lundi, le nouvel homme fort du Burkina, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, avait déclaré à la télévision nationale que son pays avait « plus que jamais besoin de ses partenaires ».
Disant comprendre les « doutes légitimes » suscités par le coup d’État, il a assuré que le Burkina « continuera à respecter les engagements internationaux, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme », et précisé que l’indépendance de la justice serait aussi « assurée ». Le lieutenant-colonel Damiba s’est en outre engagé « au retour à une vie constitutionnelle normale », « lorsque les conditions seront réunies », sans préciser d’échéancier.
Un acte criminel
La population reprochait notamment au président renversé, Roch Marc Christian Kaboré, de ne pas avoir réussi à endiguer la dégradation sécuritaire depuis 2015, notamment dans le nord et l’est du pays. Dans le sillage du Mali et du Niger, le Burkina Faso est pris dans une spirale de violences attribuées à des groupes armés djihadistes, affiliés à al-Qaïda et au groupe État islamique, qui ont fait plus de 2000 morts et contraint au moins 1,5 million de personnes à fuir leur foyer.
Dans son allocution télévisée, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a assuré vouloir associer toutes les « forces vives » de la nation à « une feuille de route » en vue de redresser le Burkina Faso. Plusieurs organisations semblent enclines à travailler avec lui. « Nous avons intérêt à ce que cette armée réussisse à stabiliser le pays », affirme l’association Sauvons le Burkina Faso, qui réclamait ardemment la démission de M. Kaboré.
Plusieurs partis d’opposition à M. Kaboré, dont le plus important, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), proche de Blaise Compaoré — ex-président chassé par la rue en 2014 après 27 ans de pouvoir —, ont également marqué « leur disponibilité à apprécier la vision qui leur sera soumise » par la junte. « Nous aurions souhaité avoir une CEDEAO plus solidaire avec le peuple burkinabé. Prendre des sanctions serait un acte criminel », a par ailleurs estimé Boubacar Sanou, premier vice-président du CDP.
Interrogé au grand marché du centre de Ouagadougou, Ousmane Zoungrana, quincaillier, est d’accord : « On ne veut plus de la CEDEAO. Ils n’ont même pas envoyé de soldats pour aider le Burkina contre les djihadistes. »
La question de l’avenir de M. Kaboré devrait aussi se poser prochainement. En résidence surveillée, il est en bonne santé selon plusieurs sources et a un médecin à sa disposition. Jeudi soir, le chef de la junte n’a pas prononcé son nom.
Source : ledevoir